La réorganisation du monde autour d’un marché unique libre de toute contrainte
Il n’y a pas de jour qui passe sans que l’on entende parler de mondialisation ou de monde globalisé. Ce thème au cœur de l’actualité nationale et internationale est présenté tour à tour comme la cause de tous les maux de la société ou comme une fatalité par des politiciens dépassés par les évènements. Compétitivité, croissance, délocalisation, coûts de l’emploi, paupérisation, chômage, baisse du pouvoir d’achat,… Seule une mondialisation anonyme en serait la cause ! Mais qu’en est-il vraiment ?
A. Le libéralisme ou l’économie de marché
En 1989, la chute du mur de Berlin a scellé la victoire du libéralisme comme doctrine politico-économique. Celle-ci affirme la suprématie de la liberté comme principe politique et économique. Elle impose toutefois la limitation du pouvoir du peuple souverain, à savoir la démocratie.
Le libéralisme s’appuie dans son concept sur la notion d’économie de marché. Celle-ci reconnaît le libre-jeu d’un marché qui définit les prix, les échanges et donc la circulation des biens et des services par une saine confrontation entre l’offre et la demande.
C’est sur la double base du libéralisme et de l’économie de marché, qui à première vue semble cohérente, qu’est né le désir voire l’impératif de créer un marché mondial unique. C’est la mondialisation ou la globalisation pour les anglo-saxons.
Dans le concept de la mondialisation, la production ne devait plus être concentrée dans les pays occidentaux, mais répartie à travers le monde pour plusieurs raisons :
- Donner du travail aux habitants de pays défavorisés.
- Eviter que les multinationales ne fassent que bénéficier des ressources de pays pauvres sans apporter de la valeur ajoutée économique.
- Mieux répartir les richesses économiques et financières entre les pays de la planète.
- Promouvoir la liberté d’entreprendre, de créer, de s’enrichir pour tout un chacun sans distinction de race, de religion, de nationalité…
- Améliorer les compétences professionnelles dans des pays peu développés.
Beaucoup de bonnes intentions étaient portées par la mondialisation. La dérive qui a fait parler d’ultralibéralisme est venue du fait de mettre en avant la rentabilité avec des recherches inlassables de baisses de coûts. Le salarié n’est plus alors considéré comme citoyen qui mérite d’avoir une vie décente mais comme facteur de coût à neutraliser dans un premier temps par délocalisation et de plus en plus maintenant par robotisation.
Bref, il vaut mieux ne plus mettre d’étiquette sur la doctrine politico-économique actuelle pour éviter de polémiquer. Une chose est toutefois sûre, nous n’évoluons plus ni dans le libéralisme classique, ni dans une saine économie de marché. La planète entière s’est mutée en un espace commercial, économique et financier de libre-échange qui a pour objectif exclusif de rendre le marché toujours plus efficace et plus rentable. Rentabilité, compétitivité et productivité sont devenues les enjeux contemporains. Les coûts sociaux et humains ne sont pas prévus dans la perspective de cette nouvelle doctrine.
C’est dans ce contexte que les représentants du marché mondial unique ont imposé 4 exigences aux Etats-Nations, appelées aussi 4 L.
B. Les quatre libertés ou 4L
Si le marché mondial unique veut maximiser la rentabilité, il doit maximiser ses ventes et minimiser ses dépenses. Elémentaire… Par conséquent, rien ne doit freiner la circulation des composants de l’économie et de son support financier. Tout arrêt ou toute contrainte sur les flux d’une entreprise engendre des coûts à cause de la réduction de la vitesse de circulation.
C’est donc tout naturellement que le marché s’est défini 4 groupes d’éléments pour maximiser sa performance et a exigé que ces éléments puissent circuler librement à travers la planète. 4 libertés ont ainsi été constituées. La libre circulation des biens ; la libre circulation des capitaux ; la libre circulation des individus (et de leurs collaborateurs) et enfin la libre circulation des services.
- Il est interdit à tout Etat qui veut intégrer ce marché de taxer d’un impôt quelconque l’entrée ou la sortie de marchandises. Aucun droit de douane ne peut être envisagé dans le concept mondialiste.
- Aucune exigence qualitative ne doit « discriminer » des produits entrants par rapport aux produits locaux. Si un pays a des standards de qualité inférieurs à ceux de celui qui importe, ce dernier ne peut imposer ses normes techniques.
- Aucune branche locale ne doit bénéficier d’une subvention nationale. On pense aux agriculteurs locaux qui sont confrontés aux multinationales de la distribution agro-alimentaire.
- L’interdiction de produits OGM sur un territoire serait considérée comme phénomène discriminant pour des produits importés qui en contiendraient.
- L’interdiction formelle d’entraver d’une manière ou d’une autre la circulation des capitaux. Voilà ce qu’en dit le traité de l’Union européenne, exemple modèle de la mondialisation dans son article 63 TFUE (ex-article 56 TCE):
. (1) Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.
. (2). Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. »
- Le site de l’UE définit ainsi les caractéristiques de cette liberté:
• «…toutes les restrictions…»;
• «… entre les États membres…»/«entre les États membres et les pays tiers»: les mouvements de capitaux concernés doivent avoir une dimension transfrontalière;
• «pays tiers»: cette liberté concerne également les pays tiers
• «libre circulation des capitaux»: le libellé de l’article 63 TFUE ne contient aucune restriction quant aux bénéficiaires de cette liberté;
• «… interdites»: l’article a un effet direct; il ne nécessite aucune législation nationale pour être mis en œuvre et confère directement aux particuliers des droits qu’ils peuvent faire valoir en justice
• «toutes les restrictions […] sont interdites»: l’article interdit toutes les formes de restrictions, et pas uniquement les cas de discrimination. Il pose une interdiction générale, qui va au-delà de la simple suppression d’un traitement inégal en raison de la nationalité
• en ce qui concerne les paiements, l’article 63, par. 2, du TFUE, dispose que «[d]ans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites».
http://ec.europa.eu/internal_market/capital/framework/treaty/index_fr.htm
Cette liberté interdit toute restriction de la circulation des entreprises et des salariés. Cela inclut notamment :
1. Pour les entreprises.
- Une totale liberté d’établissement dans la région de son choix.
- Une totale liberté de ne pas s’installer dans un pays dans lequel l’entreprise vient délivrer une prestation.
- Pour les individus :
- Les salariés doivent pouvoir venir s’installer et travailler dans n’importe quel pays signataires d’accords commerciaux internationaux. Dans le cas de l’UE, voici ce qu’en dit l’article 39 de son traité :
1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique:a) de répondre à des emplois effectivement offerts;b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres;c) de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux;d) de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements d’application établis par la Commission, sur le territoire d’un État membre, après y avoir occupé un emploi.4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique.
Cette liberté concerne toutes les prestations offertes par des prestataires de services –y compris les indépendants- qu’elles soient commerciales, industrielles, artisanales ou de professions libérales. Ainsi, les banques, les assurances, les transporteurs,… doivent pouvoir circuler sans entrave aucune. Avec cette disposition, un Etat ne peut plus imposer un niveau d’exigences en matière de formation professionnelle. Un diplôme de médecine issu d’un pays A est équivalent à celui du pays B même si dans les faits cela n’est pas vrai.
C. La redéfinition du monde
Les 4 libertés décrites ci-dessus et exigées par un marché unique mondial devenu tout puissant entrent en conflit avec le concept de l’Etat-Nation tel que nous l’avons connu. Une réorganisation géographique, politique, économique, financière et culturelle a dû et continue d’être entreprise pour permettre l’expansion du marché. C’est dans ce contexte que nous avons vu apparaître :
o Les traités de libre-échange : que le web définit ainsi : « Un traité de libre-échange est un traité international passé entre deux ou plusieurs États pour favoriser le commerce international, en général en diminuant les taxes et les contrôles douaniers et en supprimant les réglementations nationales susceptibles de gêner l’importation des biens, des services, de la main d’oeuvre et des capitaux étrangers.»
o Les zones de libre-échanges : Celles-ci ne correspondent pas forcément à des espaces géographiques contigus puisque les Etats-Unis en ont créé une en 1985 avec Israël. On peut aussi retenir quelques exemples tels que : l’Accord de libre-échange nord-américain (Etats-Unis, Mexique, Canada) ; celui de l‘’AELE (Suisse, Norvège, Liechtenstein, Islande) ; celui de l’ASEAN qui concerne les pays de l’Asie du Sud-Est,…
o Les Unions douanières : Il s’agit de zones de libre-échange régionales construites dans le but le but d’un libre-échange avec le reste du monde. Les exemples foisonnent. Nous retiendrons : l’ Union douanière de l’Union européenne, l’Union eurasienne, le Mercosur, la Communauté d’Afrique de l’Est, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, le Conseil de coopération du Golfe, l’Union douanière d’Afrique australe, l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
o Les traités internationaux : l’accord le plus emblématique qui inquiète les Européens en ce moment est le traité ou partenariat transatlantique d’investissement et de commerce. Ce traité qui est en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis prévoit la création en 2015 d’une zone de libre-échange transatlantique souvent appelée grand marché transatlantique.
Selon la banque mondiale, ce traité couvrirait 45% du PIB mondial et aurait toutes les chances d’officialiser la suprématie des entreprises et des besoins du marché sur les Etats et donc les peuples…
Le Monde Diplomatique dans son édition de novembre 2013 titrait un de ces articles ainsi : « Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens » et poursuit : Engagées en 2008, les discussions sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne ont abouti le 18 octobre. Un bon présage pour le gouvernement américain, qui espère conclure un partenariat de ce type avec le Vieux Continent. Négocié en secret, ce projet ardemment soutenu par les multinationales leur permettrait d’attaquer en justice tout Etat qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme »
Bref, nous constatons donc que l’organisation d’un marché mondial unique a besoin d’une restructuration totale de l’espace géographique, économique, financier, législatif et donc politique pour permettre aux 4 libertés de s’épanouir.
Pour l’heure, ces 4 libertés semblent entrer en conflit direct avec la démocratie, le libéralisme classique, l’économie réelle et locale, voire avec les libertés individuelles.
Dans tous les cas, cette réorganisation est en marche. Elle constituera la plus grande révolution silencieuse qui n’ait jamais existé…