WWIII : L’Occident trahit les Kurdes et permet qu’on les massacre
La nouvelle initiative russe pour régler la crise syrienne
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a annoncé que le prochain tour des négociations, portant sur la crise en Syrie, pourrait avoir lieu avant septembre 2015. Selon M. Bogdanov, la Russie, les Etats-Unis et l’émissaire spécial des Nations unies en Syrie, Staffan De Mistura, seront présents à la Conférence sur la Syrie. Il a ensuite ajouté que les négociations pourraient avoir lieu dans une ville autre que Moscou. Plus de cinquante mois se sont écoulés depuis le déclenchement de la crise en Syrie, une crise qui s’est intensifiée avec l’ingérence de l’Occident, de ses alliés arabes, du régime sioniste et de la Turquie et qui s’est transformée au fur et à mesure en une guerre totale opposant le gouvernement Assad aux terroristes. Un éventail de solutions ont été jusqu’ici mises en avant pour régler la crise en Syrie, notamment par l’ONU, mais pourquoi aucune de ces solutions ne sont-elles pas arrivée à calmer le jeu. La raison principale est que ces solutions ont été pour la plupart avancées par les parties qui étaient, elles-mêmes, impliquées dans l’extension de la crise en Syrie. Même les solutions qui étaient mises en avant par ou via l’ONU n’assuraient que les intérêts des opposants au gouvernement syrien sans jamais prendre en compte des réalités politiques et sur le terrain de la Syrie. Cependant, la Russie a proposé, en 2014, la tenue d’un dialogue syro-syrien. Les différents groupes syriens se sont donc réunis à Moscou, fin janvier 2015, pour trouver une solution à la crise mais la solution trouvée à l’issue des négociations a été rejetée par les opposants. Lors de ces négociations, le ministère russe des Affaires étrangères a soumis aux groupes syriens et au gouvernement Assad un plan en huit points, censé mettre fin à la crise via les moyens pacifiques et diplomatiques. Le gouvernement Assad a salué l’initiative russe mais les opposants l’ont rejetée et réclamé le départ de Bachar Assad. Maintenant, sept mois après les négociations de Moscou, la Russie prépare un autre projet, soutenu implicitement par les Etats-Unis et l’ONU. Le plan russe prévoit la formation d’un groupe de contact international de préférable avec la présence de la RII. Il est vrai que la présence de la RII dans les négociations sur la Syrie constitue un point fort, favorisant la réussite de ce dialogue mais si ce plan ne prend pas compte des réalités sur le terrain et s’il ne reconnaît pas le maintien de Bachar Assad au pouvoir et la lutte antiterroriste, il sera voué à l’échec.
On a enterré hier mercredi 22 juillet des jeunes victimes du « massacre de Suruç/Pirsûs » dans diverses périphéries d’Istanbul, de Maltepe à Gazi, en passant par Ümraniye. Avant-hier 21 juillet, sur le site Internet « Siyasi Haber » le bloggeur Ahmet Saymadı – dont les papiers lors des événements de Gezi ont été très suivis – a posté une note intitulée « Désormais Kobanê c’est Istanbul1 ». Dans cette note il écrit : « La bombe qui a explosé à Suruç, a en même temps explosé à Gülsuyu, à Soğanlı, à Kadıköy et à Kurtuluş ».
Dans la continuité de nos notes précédentes sur Okmeydanı (voir nos éditions des 4 et7 avril 2014), sur la frontière turco-syrienne (voir notre édition du 26 septembre 2014) et sur l’entrée d’Istanbul dans la guerre syrienne (voir notre édition du 14 octobre 2014), alors que la colère et la stupeur règnent largement dans une partie de l’opinion, que des victimes restent non identifiées et que l’enquête se poursuit, quelques points seulement.
- L’organisation socialiste de jeunesse qui a organisé ce mouvement de solidarité avec Kobane, SGDF – la Fédération des Associations de Jeunesse Socialiste, formée en 2005 – est liée non pas au mouvement kurde directement, mais au Parti Socialiste des Opprimés (ESP), lui-même issu en 2010 de la Plateforme Socialiste des Opprimés (ESP2. Parti marxiste-léniniste, l’ESP a cependant eu pour fondatrice la co-responsable (eşbaşkan) actuelle du parti kurde HDP, Figen Yüksekdağ. A ce titre, SGDF est une des expressions manifestes de l’articulation récemment reconfigurée entre extrême gauche turque et mouvement kurde : les origines mêlées des victimes du massacre et l’importance de celles de socialisation alévie en sont des indices. Le public de SGDF est avant tout étudiant et dans une moindre mesure lycéen ; d’où le jeune âge (jusqu’à 16 ans !) et l’origine urbaine des victimes.
- À l’échelle de la Turquie, cet attentat ne vise donc pas directement et exclusivement le mouvement kurde. Il vise la nouvelle alliance qui s’est exprimée aux élections de juin 2015 (alliance issue partiellement des soulèvements de Gezi de juin 2013), qui associe gauchistes turcs, alévis et mouvement kurde. Il vise aussi le mouvement féministe de Turquie, nombre de victimes étant des femmes. Les ferments d’un renouveau du champ politique turc, au-delà des paradigmes ethniques ou religieux, étaient en ligne de mire.
- Ce massacre, qui se nourrit d’une conjoncture internationale de désordre et de violences extrêmes, a une dimension très turque. Il semble qu’à l’instar de l’attentat meurtrier de Diyarbakır du 5 juin 2015 – à la veille des élections législatives – les responsables soient des citoyens turcs, issus d’une même filière ou d’un même environnement idéologico-activiste (Adıyaman). À cet égard, on comprend mal les tolérances dont ont été l’objet les auteurs des deux attentats – dont on suppose qu’ils se connaissaient – de la part des forces de sécurité turques comme des institutions du renseignement. Comme le souligne le chroniqueur Aydın Engin dans le Cumhuriyet du 23 juillet 2015, « l’EI est en nous, et parmi nous, ce n’est plus une menace extérieure3 ». Si les franchissements de la frontière turco-syrienne sont désormais mieux contrôlés4, les circulations internes à la Turquie et les activités d’anciens combattants djihadistes turcs retournés ces derniers mois en Turquie semblent l’être beaucoup moins systématiquement5.
- À une échelle plus régionale, ce massacre intervient le lendemain des célébrations du début de l’insurrection autonomiste de Kobanê, le 19 juillet 2012. En effet, c’est à partir de cette date que les Kurdes de Syrie, et notamment ceux du canton de Kobanê, ont décidé de prendre leur défense et leur organisation en mains, rompant avec le gouvernement syrien comme avec les autres opposants armés à celui-ci. La coïncidence de calendrier est donc significative. De part et d’autre de la frontière, de Kobanê à Suruç/Pirsûs, on est ainsi passé en quelques heures, de l’allégresse des commémorations à l’horreur du cauchemar. Le massacre survient aussi alors que l’EI perd des positions sur plusieurs fronts en Syrie comme en Irak6, comme une aveugle démonstration de force de nuisance persistante aux portes mêmes de Kobanê « perdu » fin janvier 20157.
- Quoi qu’il en soit, ce massacre montre le risque de la projection du champ politique turc sur le terrain syrien – les différents acteurs du jeu turc s’identifiant, parfois jusqu’à la compassion active, à différents acteurs du sanglant théâtre syrien -, pour ne pas parler du débordement du chaos syrien sur le territoire turc8. Seul le versant armé du mouvement kurde – et quelques combattants internationalistes plus ou moins aguerris9 – fait le lien entre ces deux régimes d’action, non sans schizophrénie parfois. Se rendant à Kobanê, ces jeune du SGDF sont entrés dans un champ infernal auquel ils n’étaient pas formés/préparés et ont été happés par le chaos syrien. La responsabilité des hommes politiques turcs de tout bord qui projettent leurs rivalités dans le champ syrien est donc grave.